1. Les enfants ont le droit d’avoir une relation avec leurs grands-parents
Lors de toute discussion au sujet des enfants mineurs, il est important de commencer par l’article 33 du Code civil du Québec: « Les décisions concernant l’enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits ».
La plupart d’entre nous conviendraient qu’en général, il est dans l’intérêt d’un enfant d’avoir une relation avec ses grands-parents s’il a la chance d’avoir des grands-parents. Les grands-parents offrent à leurs petits-enfants un niveau de richesse, de compassion, d’amour, d’orientation et d’éducation différent de ce qu’ils reçoivent de leurs parents. Le lien entre un grand-parent et un petit-enfant est unique et également bénéfique pour les deux parties.
Il est cependant nécessaire de comprendre que le point de vue des tribunaux est axé sur l’enfant; ils cherchent à évaluer les effets et les avantages de la relation grand-parent / petit-enfant sur l’enfant, et non sur le grand-parent. Par conséquent, il est essentiel d’évaluer la relation de l’enfant avec un grand-parent, du point de vue de l’enfant.
L’article 611 du Code civil du Québec stipule les droits des petits-enfants et grands-parents. Il est très clair que les parents ne peuvent priver les grands-parents d’avoir une relation avec leurs enfants, à moins qu’il n’y ait une raison sérieuse.
L’honorable juge Jean-Pierre Senécal, J.C.S. analyse les droits conférés par l’article 611 pour nous aider à comprendre l’intention du législateur:
Le droit reconnu par l’article 611 s’exprime souvent sous forme de visites ou de sorties. Il est toutefois distinct des droits d’accès comme entre parents et enfant. C’est un droit autonome, un droit propre qui existe par lui-même et qui a ses particularités. Il est d’ailleurs remarquable de constater que le code, à l’article 611, parle de “relations personnelles” dont les modalités doivent, à l’occasion, être réglées par le tribunal, non de droits d’accès, de droits de sortie ou de droits de visite. Les relations personnelles peuvent certes avoir cette forme. Mais elles peuvent aussi s’exprimer différemment : contacts téléphoniques, lettres, rencontres familiales, etc[1]
Ce qu’il faut retenir, c’est que l’enfant a le droit d’avoir et de maintenir une relation avec ses grands-parents. Il y a une distinction à faire entre le droit d’entretenir une relation avec l’enfant et les droits de visite d’un parent non gardien. Un grand-parent peut demander des droits d’accès / de visite, mais le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance qu’il juge conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant / des enfants.
Dans cette optique, le fardeau de la preuve incombe au parent de démontrer pourquoi il n’est pas dans l’intérêt de son/ses enfant(s) d’avoir une relation avec ses grands-parents, car il existe une présomption. Pour rendre cette décision, la Cour doit suivre un processus en deux étapes. Comme l’honorable juge Daniel Payette, J.S.C., le déclare dans son jugement du 19 novembre 2009 dans Droit de la famille – 092798:
[31] “…Premièrement, il doit déterminer s’il existe des raisons graves empêchant le grand-parent d’établir des relations avec les petits-enfants. Deuxièmement, en l’absence de motifs aussi graves, la Cour décidera des modalités et conditions de ces relations.”[2]
Cela signifie que ce qui fonctionne pour une famille en termes de maintien de la relation ne fonctionnera pas pour une autre. Ce n’est pas une approche universelle; au contraire, il s’agit d’une analyse au cas par cas de ce qui est dans l’intérêt supérieur de l’enfant en fonction de sa situation particulière.
Quant à la première étape, l’honorable juge Claude Dallaire, J.C.S., déclare dans son jugement rendu le 4 octobre 2017 dans Droit de la famille – 172714[3] :
Les critères de la jurisprudence et de la doctrine sont clairs, il faut que les relations aient des effets néfastes réels sur l’enfant, le tout, « du point de vue de l’enfant ». La seule crainte que tel puisse être éventuellement le cas ne suffit pas. Elles doivent être réelles, objectives et raisonnables.
Les raisons suivantes peuvent justifier le refus d’un parent de continuer à entretenir une relation entre son/ses enfant(s) avec ses grands-parents:
a. Le grand-parent a une mauvaise influence sur le petit-enfant.
b. Les grands-parents tentent de prendre le relais ou de saper l’autorité parentale des parents et le rôle des parents et portent atteinte aux droits des parents de prendre des décisions importantes concernant leur enfant.
c. Le ou les grands-parents abusent physiquement ou verbalement de leur petit-enfant.
d. Le(s) grand-parent(s) dénigre(nt) le(s) parent(s) pour l’enfant(s).
e. La relation entre les parents et les grands-parents a mis l’enfant(s) en conflit de loyauté.
Malheureusement, dans de nombreuses familles, une variété de désaccords et de différends surviennent, ce qui peut amener un parent à croire qu’il n’est pas dans l’intérêt de son / ses enfant (s) de maintenir une relation avec ses grands-parents. Les parents ont le devoir permanent de mettre leurs enfants à l’abri de tout conflit entre adultes.
Par exemple dans l’affaire Droit de la famille – 191541[4] du 6 juin 2019, l’honorable juge Lise Bergeron, J.C.S. déterminé qu’il n’était pas dans l’intérêt des enfants d’avoir des visites mensuelles avec leurs grands-parents en raison de conflits familiaux, les enfants étaient en conflit de loyauté entre leurs parents et leurs grands-parents.
L’honorable juge Bergeron déclare dans son jugement dans l’affaire susmentionnée:
[23] Bien que l’on puisse trouver la situation déplorable et souhaiter que les conflits s’amenuisent pour que de saines relations soient rétablies entre les parents et les grands-parents, le Tribunal, à la suite de la preuve constituée particulièrement du rapport de la procureure aux enfants, est d’avis que le maintien des rencontres à une fréquence et un horaire imposés, en présence d’un parent, augmenterait les tensions et entrainerait des conséquences préjudiciables.
[24] Imposer des visites chez les grands-parents n’éliminerait pas non plus ce conflit de loyauté ni ce stress vécu par les enfants, qui craignent de trahir leurs parents et ne veulent pas « faire de peine » à ceux-ci ou leur déplaire.
Dans Droit de la famille – 172486[5], la Cour d’appel, dans un jugement rendu le 24 octobre 2017, a infirmé un jugement de la Cour supérieure accordant à une grand-mère du temps avec ses petits-enfants. Dans ce cas, la grand-mère dénigrait activement le parent des enfants à leurs petits-enfants et le jugement déclarait ce qui suit:
[26] En fin de compte, la propension apparemment irrépressible de l’intimée au dénigrement de sa fille de même que l’ensemble de ces incidents, qui paraissent symptomatiques de son état d’esprit, constituent un motif suffisamment grave pour qu’on ne fasse pas droit à sa demande en ce qui concerne les enfants Z et A, et ce, au nom de l’intérêt supérieur de ceux-ci, qui n’ont pas à être exposés au risque réel qu’engendre la conduite de leur grand-mère. C’est une erreur manifeste et déterminante de la part du juge que de n’avoir pas tenu compte d’éléments de preuve essentiels ou d’en avoir atténué l’importance au terme d’un processus inférentiel[13] défectueux.
Il est toutefois important de noter que la présence d’un conflit entre un parent et un grand-parent ne constitue pas à elle seule une raison sérieuse pour empêcher la relation grand-parent / petit-enfant.
Dans l’affaire Droit de la famille – 172337[6],, dans un jugement daté du 10 octobre 2017, le tribunal a déterminé qu’en dépit d’un conflit grave entre la grand-mère et la mère des enfants, cela ne constitue pas une raison sérieuse pour mettre fin à la relation entre la grand-mère et ses petits-enfants.
L’honorable juge Catherine La Rosa, J.C.S. déclare ce qui suit:
[34] Le Tribunal est toutefois d’avis que le conflit actuel ne doit pas déteindre sur les enfants qui sont habituées d’avoir leur grand-mère dans leur vie depuis leur naissance et dont la présence semble positive.
[35] La communication déficiente mentionnée par madame F… ne peut justifier l’absence de relation d’une grand-mère avec ses petits-enfants lorsque la grand-mère, impliquée dans la vie de ses petits-enfants depuis leur naissance, représente une figure positive.
Si vous êtes un grand-parent éprouvant des difficultés à exercer votre droit d’avoir une relation avec vos petits-enfants, vous pouvez déposer une demande à la Cour supérieure du Québec. Si votre demande est accordée, un jugement sera rendu qui stipule les droits et modalités qui vous ont été accordés (les jours, les heures et la fréquence) et que les parents ont l’obligation de respecter l’ordonnance du tribunal.
Au Québec, il est également important de noter que la notion de statu quo s’applique à toutes les questions relatives aux droits de garde et de droit de visite des enfants. Cela signifie que le tribunal favorise à tout moment la stabilité et la routine des enfants. Par conséquent, un grand-parent qui demande au tribunal des droits auprès de ses petits-enfants peut s’attendre à ce que, sauf raisons sérieuses de ne pas le faire, un juge fera de son mieux pour maintenir la relation et les modalités en place depuis l’enfant(s) est/sont né(s).
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2. Circonstances exceptionnelles: droit de garde des grands-parents
Les parents, sauf en cas de rupture de l’autorité parentale, ont toujours la priorité lorsqu’il s’agit de la garde de leurs enfants. Dans le cas où aucun des parents ne peut s’occuper de ses enfants, le tribunal peut ordonner que la garde soit accordée à un tiers, tel qu’un grand-parent. Dans ce cas, le grand-parent peut adresser une demande de garde à la Cour supérieure et devra démontrer qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant/des enfants d’être sous sa garde.
Le fardeau de la preuve incombe aux grands-parents de démontrer pourquoi il n’est pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant/des enfants d’être sous la garde de leurs parents. Même si un tiers peut convaincre un juge qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant /des enfants de se voir confier la garde, les parents de l’enfant/des enfants conservent l’autorité parentale de l’enfant/des enfants, sauf s’ils en sont expressément privés par un juge.
L’autorité parentale signifie que les parents ont des obligations, des droits et des responsabilités envers leurs enfants dès la naissance jusqu’à ce que ces derniers atteignent l’âge de dix-huit ans. Leurs droits et responsabilités consistent à leur fournir un abri, de la nourriture, une supervision, une protection physique et psychologique et une éducation. En plus de prendre toutes les décisions nécessaires, telles que l’éducation, la santé, la religion, etc. La seule façon de se soustraite à l’autorité parentale est si le tribunal ordonne une rupture de l’autorité parentale, qui peut être retirée à un parent dans des cas extrêmement graves. Le fardeau de preuve est extrêmement élevée, et on doit démontrer qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant/des enfants que le parent n’ait plus aucun pouvoir de décision, aucune autorité et essentiellement rien à voir avec l’enfant/ les enfants.
La chose la plus importante à retenir, sans exception, est que toutes les décisions que les parents/grands-parents/tribunaux prennent doivent être dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Même s’il existe une relation dysfonctionnelle entre vous et les parents de votre petit-enfant/de vos petits-enfants, faites de votre mieux pour faire ce qui est nécessaire afin de maintenir la relation importante et le lien spécial avec lequel un enfant (votre petit-enfant /petits-enfants a/peut avoir avec vous, leurs grands-parents, et de préserver le don de l’amour exceptionnel que vous partagez tous les deux.
N’hésitez pas à nous contacter si vous avez des questions.
[1] Droit de la famille-2216, EYB 1995-72408 (C.S.).
[2] Droit de la famille — 092798, 2009 QCCS 5247
[3] Droit de la famille — 172714, 2017 QCCS 5297 (CanLII)
[4] Droit de la famille — 191541, 2019 QCCS 3362
[5] Droit de la famille — 172486, 2017 QCCA 1637 (CanLII)
[6] Droit de la famille — 172337, 2017 QCCS 4577 (CanLII)